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Origines et histoire de l’hypnose

ORIGINS AND HISTORY OF HYPNOSIS


Auteur(s) : Alain MORENI, Alain BARBER

Alain MORENI Hypnothérapeute (Hypnose et thérapies brèves) Centre Avance 112 Avenue du Prado 13008 Marseille alain.moreni@gmail.com


Alain BARBER Chirurgie orthopédique et traumatologique, Chirurgie de la main Hôpital Européen 6, rue Désirée Clary 13003 Marseille alainbarber@voila.fr


Résumé

Dès l'antiquité et à travers de nombreuses civilisations, les modifications rituelles de l'état de conscience apparaissent sous des formes variables. La pratique de l'hypnose a de tous temps interrogé la relation humaine. En deux siècles, la réponse aux phénomènes observés s'est intériorisée : après s'être référée aux divinités, puis avoir établi des liens avec le cosmos, l'hypnose s'est enfin centrée d'homme à homme. Notre étude chronologique des personnages clefs, de Franz Anton Messmer à Erickson en passant par Charcot, explique les bases de ce qu'est l'hypnose aujourd'hui et éclaire les voies nouvelles pour demain.


Abstract

Throughout antiquity and many civilizations, ritual modifications of the state of consciousness have appeared. The practice of hypnosis has always questioned the human relationships. Within two centuries, response to observed phenomenon has been internalized: after being considered as a contact with divinities, then with links to the universe, hypnosis has eventually been re-centered to inter-human relationships. From Franz Anton Messmer to Erickson through Charcot, our chronological study of hypnosis' key figures reveals the basis of today's hypnosis and enlightens its future path.


Mots clés :

Conscience ; Erickson ; hypnose ; Messmer ; ressource.

Traduction anglaise des mots-clés : Consciousness, Erickson ; hypnosis ; Messmer ; resource

« Points essentiels » : - des origines à nos jours, transe, magnétisme et hypnotisme - Messmer et le magnétisme animal - du magnétisme à l'hypnose - de l'inconscient Freudien à l'inconscient Ericksonien - la transe est source de connaissance, naissance de l'hypnotherapie



HISTOIRE DE L'HYPNOSE L'hypnose s'étend aujourd'hui progressivement dans le monde des soins. Elle envahit en même temps nos écrans de télévision. Pendant que les neurosciences se passionnent pour les enregistrements cérébraux des patients sous hypnose, reste attaché à l'« hypnose » un florilège d'idées reçues : magnétisme, transe, influence, somnambulisme, hystérie... La définition en est complexe et toute simple : un état modifié de conscience. Ce qui, à la fois, nécessite : De définir un état, une conscience ou bien un état modifié, De relier la pensée, le corps à travers la sensation et le mouvement, De comprendre les techniques permettant d'obtenir cet état !

Reprenons la définition de Milton Erickson : « L'hypnose, c'est une relation pleine de vie qui a lieu dans une personne et qui est suscitée par la chaleur d'une autre personne ». L'énergie de la rencontre humaine au service du moi.

Au fil des siècles, des hommes dans leurs temps donnent sens à cette définition. Les pratiques modernes sont en continuité avec l'héritage des personnages ayant marqué l'histoire de l'hypnose.


DES ORIGINES A NOS JOURS Dater les premières utilisations thérapeutiques de cette modification de conscience est difficile. En effet, nous retrouvons cette pratique dans différentes cultures et civilisations.

Les écrits sumériens (-6000 ans avant JC) décrivent différents états de conscience, comme les temples du sommeil dans l'Egypte ancienne. En Grèce, la doctrine Pythagoricienne (Pythagore : -580 -495 avant JC) admettait l'existence d'un fluide subtil émanant de tous les corps. Socrate (-470 -399 avant JC) plongeait ses auditeurs dans un état modifié de conscience propre à créer le doute. À Delphes, le temple d'Apollon s'élevait sur une crevasse d'où émanait du gaz sulfureux. La Pythie, qui, mise en condition (jeûne) s'agitait, tombait en transe et donnait alors son verdict à la question... Une médiation divine au service des hommes. La culture Indoue par la méditation profonde, accède à des pouvoirs curatifs. Plus proches de nous, les druides, par l'utilisation d'incantations et de breuvages, accèdent à l'expression des « volontés divines ».

Au 15ème siècle, Paracelse (1493-1541), médecin suisse, parle d'influence des planètes sur le corps humain et établit une relation entre psyché, corps physique et âme. En France, la sorcellerie, par diverses pratiques (potions, parfums, rituels, etc.), accède à des états modifiés de conscience. Le champ religieux n'est pas exclu avec ses diverses extases, convulsions, de la simple agitation à la léthargie en passant par diverses figurations de la passion ou des supplices des martyres [1]. La pratique chamanique sud-américaine, inuit ou mongole, induit dans un autre contexte des altérations de conscience : la relation de quelques hommes ou femmes choisis permet un lien entre un monde terrestre anxiogène et un au-delà.


Lumières, lumière !

Il faut attendre la fin du 17ème siècle pour que l'Homme prenne une autre place au sein de l'Univers. Sous l'influence de la rationalité, le monde s'explique de manière plus scientifique ; le doute en les puissances divines éthérées s'insinue dans le quotidien. Les disciplines comme l'astrologie, la physique, la chimie expliquent les phénomènes naturels jusque-là irrationnels. Franz-Anton Messmer (1734-1815) marque la transition entre magnétisme et science (figure 1) [2]. Ce médecin viennois, reprenant les travaux de Paracelse, de Van Helmont et de Maxwell [3], publie en 1766 sa thèse de doctorat : « De l'influence des planètes sur le corps humain ». En 1773, il met en pratique son idée de l'existence d'un fluide universel, en appliquant les travaux du Père jésuite Hell [4] avec des plaques aimantées. Le fluide est alors minéral, mais deviendra animal suite à une polémique sur la paternité du procédé. Son postulat : un fluide physique emplit l'univers servant d'intermédiaire entre l'homme, la terre, les corps célestes et entre les hommes eux-mêmes. Ce fluide diffusé en tout lieu est capable d'être canalisé, distribué (par des « passes Mesmériennes ») et ainsi provoquer une salutaire libération par toute manifestation de mouvements (crise magnétique). « Sans la présence du thérapeute, le métal à lui seul n'est rien », dit Messmer en 1775, soulignant pour la première fois la nécessaire présence animale. Arrivé à Paris en 1778, il publie en 1779 son récit historique des faits relatifs au magnétisme animal. Devant le succès de sa méthode, il organise le traitement collectif du baquet [5] : un large récipient en chêne rempli d'eau magnétisée par ses soins, de limaille de fer, de verre pilé d'où sortaient des barres de fer (figure 2). Les patients recevaient le fluide, qui se transmettait de l'un à l'autre. Musique douce, parfum d'ambiance, lumière tamisée, couleur apaisante parachevaient l'ensemble. Messmer habillé de tenue couleur lilas, en maître de cérémonie, induisait un étrange comportement collectif sensé réorganiser les énergies et annihiler le mal. Reconnu à la cour de Marie Antoinette, il connaît la défaveur du roi Louis XVI suite à un avis négatif de la Commission royale. Il reste précurseur par la mise en pratique de méthodes d'induction, d'états modifiés, par son approche fluidique de la relation à l'autre.

Dans le même temps, un élève de Messmer, le marquis Armand Marie Jacques de Chastenet de Puysegur [6] se distingue en déclarant : le soignant par sa volonté n'est qu'un vecteur, le travail de guérison est effectué par les patients eux-mêmes (Figure 3). Le soignant induit un état de conscience grâce à un fluide magnétique émanant de sa personne, mais c'est le patient qui œuvre à sa propre guérison. Puysegur obtient pour la première fois un état de somnambulisme en y attribuant un pouvoir extralucide.

Le magnétisme continue d'être popularisé ; Alexandre Dumas évoque un personnage dans son roman « le comte de Montecristo » : l'abbé José Custodia De Faria [7]. L'abbé De Faria donne un cours en 1813 sur le sommeil lucide dans la continuité du travail de Puysegur, critiquant la notion de fluide Mesmérien. Les verbalisations sont autoritaires, très suggestives : « tout se passe dans la tête du sujet » (figure 4). De Faria marque le tournant : l'effet obtenu ne prend pas source dans un fluide externe, mais tout se passe dans la relation à l'autre, d'homme à homme.

Dans le même temps à Calcutta, le chirurgien Ecossais Estaille [8] opère plus de 2000 patients, dont 315 interventions majeures sous analgésie mesmérienne. La méthode, comparée aux solutions employées à l'époque pour soulager la douleur (éponges soporifiques, opium, alcool, haschich pour les chinois ou feuilles de coca chez les incas)apporte aux dires d'Estaille une diminution de la mortalité postopératoire . Un autre chirurgien, le Dr James Braid [9], publie en 1843 « Neurynologie, traité du sommeil nerveux ou hypnotisme » (figure 5). Il souligne, dans un premier temps, l'importance de la fixation d'un point pour provoquer une léthargie, puis comprend que des suggestions verbales peuvent provoquer le même effet, nommé sommeil nerveux. Il lui est attribué la paternité du mot hypnotisme, malgré son emploi par Etienne Félix de Cuvilliers en 1819 [10].


L'utilisation de l'hypnose en chirurgie s'élargit : - 1829 : ablation d'un sein par Cloquet ; - 1845 : amputation d'une jambe par Loysel de Cherbourg ; - 1859 : abcès sous anesthésie hypnotique par Broca et Follin ; - 1889 : analgésie pour le travail et l'accouchement par Liébeault.

Le monde médical reçoit mal ces pratiques, l'invention du chloroforme en 1831 et de l'éther en 1846 donne un coup d'arrêt à l'usage chirurgical de l'hypnose. Il faut attendre la fin du 19ème siècle pour qu'Ambroise-Auguste Liébeault [11] réactive le savoir de ses ainés.

En 50 ans, les manifestations observées sont passées d'une origine divine, éthérée, vers une véritable incarnation. L'homme devient le propre centre de son univers, commence alors une autre période, la rencontre homme-homme.


Le conflit Paris-Nancy

Après des années de demi-ignorance, l'hypnose retrouve des lettres de noblesse. Le professeur Jean-Martin Charcot, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris se penche sur l'étude des hystériques (lésion organique ou psychosomatique) (figure 6). Pour Charcot, l'hypnose permet de démontrer que les paralysies hystériques n'ont pas d'origines organiques ; paralysies hystériques qu'il est possible de recréer et de supprimer sous hypnose.

Par son statut mondialement reconnu, Charcot apporte une caution morale ; et l'hypnose réinvestit le champ médical. Dans le même temps, les travaux du Dr Liébeault portent leurs fruits ; d'abord décrié par Hyppolite Bernheim, il réussit à soigner une névralgie sciatique que ce dernier n'avait pu traiter, celui-ci s'en rapproche au point de devenir son élève. Les résultats de leurs travaux s'opposent à ceux de Charcot : pas de lien entre hystérie et hypnose, l'hypnose est un phénomène naturel accessible à tous, c'est la suggestion qui guérit le patient.

En 1887, Freud repart en Autriche et utilise l'hypnose après avoir suivi les conférences de Charcot. Il rencontre Bernheim en 1889 et traduit son livre sur la suggestion. Il développe sa propre idée de l'inconscient et conceptualise la psychanalyse... Bien que délaissant l'hypnose, qui pour lui ne permet pas de dénouer les conflits psychiques refoulés profondément, il restera fervent admirateur de Charcot toute sa vie. Spectateur des conflits français, Freud ferme la porte de l'hypnose mais ouvre une autre voie thérapeutique. L'homme ne s'est jamais autant retrouvé face à lui-même, dans les profondeurs de l'inconscient. Devant le succès grandissant de la psychanalyse, l'hypnose s'incline mais ne se couche pas.


Un juste retour des choses

Après la guerre 1939-45 et devant la nécessité de guérir les soldats rapidement, se développent aux États-Unis des stratégies thérapeutiques dites brèves. Sous l'impulsion du psychiatre Milton Erickson, l'hypnose est remise au goût du jour. Erickson est daltonien, amusique, et contracte la poliomyélite à l'âge de 17 ans ; il développe des facultés d'observations hors du commun, vivant ses handicaps comme une ressource, devient la référence en Amérique puis en France du renouveau de l'hypnose (figure 7). Passé maître dans l'observation des signaux non verbaux, il est le premier à s'impliquer dans la relation hypnotique en incluant son propre état de transe pour obtenir des informations sur la nature de la relation homme-homme. La technique est au service de la rencontre dans une même enveloppe hypnotique d'inconscient à inconscient. Cet inconscient n'est plus un refouloir pulsionnel, mais un foyer de ressources, le patient ne sait pas qu'il sait déjà, inconsciemment, ce que son conscient ignore. En incluant les thérapies stratégiques brèves, avec une intention de soin dissimulée dans des suggestions indirectes, il nous propose, non un modèle, mais une grande source d'inspiration. Les apprentissages sont en attente de réactivation, de remise en mouvement par l'utilisation en autre de la mise en confusion. Erickson sature le mental, obtient un état de transe propre à réorganiser les croyances du patient, et ainsi le remettre en mouvement. Le geste d'action devient la résultante d'un ressenti dans un autre état de conscience. L'émotion (latin : « motio » = mouvement) devient geste. Avec Milton Erickson, le moment hypnotique est une rencontre de deux vécus, au présent, d'où émerge un changement de vision du monde. L'espace prend la forme d'un regard partagé, ou bien, le regard prend la forme d'un espace de partage. Ses travaux seront poursuivis par son élève Ernest Rossi, qui accentue encore cette rencontre dans le présent, en supprimant totalement les suggestions métaphoriques et indirectes. En France dans le même temps, Léon Chertok (psychiatre) après une rencontre avec Milton Erickson en 1950 défend l'apport de l'hypnose face aux cures psychanalytiques


Aujourd'hui

François Roustang, psychanalyste puis hypnothérapeute Français, donne ses lettres de noblesse à l'hypnotherapie : la transe est un moment de partage, ici et maintenant. L'enveloppe hypnotique apparaît dans cette rencontre permettant un lâcher prise, une rencontre de soi à l'autre puis de soi à soi. Le thérapeute partage son intention de soin, dans un contexte (le cabinet), dans un état de transe hypnotique.

Les travaux du psychiatre Éric Bardot (Psychiatre, pédopsychiatre, Psychothérapeute Français) intègrent dans un modèle plus large les travaux de Bowlby (psychiatre et psychanalyste anglais) sur l'attachement et définissent les possibilités d'externalisation de la résultante émotionnelle de cette rencontre hypnotique.

L'état de transe partagé, provoqué dans un contexte de soins, avec une intention stratégique, replace le patient dans une pleine conscience de soi. C'est-à-dire avec un changement de position, de croyances, dans son cadre de vie. Ainsi de modifier sa place dans un nouvel environnement.

Ce voyage à travers le temps hypnotique nous permet de comprendre l'actuelle diversité des pratiques paramédicales et médicales. Chacun de nous dans son rôle, puisant dans son expérience, son vécu, sa sensibilité.


















Fig. 1 : Anton Messmer Medecin Allemand (1734-1815)













Fig. 2 : baquet magnétique, musée de la médecine de Lyon























Fig. 3 : Armand Marie Jacques de Chastenet De Puységur, disciple de Messmer











Fig. 4 : José Custodio de Faria, ecclésiastique et scientifique portugais (1756-1819)











Fig. 5 : James Braid, chirurgien écossais (1795-1860)
















Fig. 6 : Blanche (Marie) Wittman par le peintre André BROUILLET 1887














Fig. 7 : Milton Hyland Erickson (1901-1980)


Références

1 Maire CL. Convulsionnaires de st Médard, miracles, convulsions et prophéties à Paris au XVIIIème siècle. A collections, 1985. 2 Messmer A. Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal. L'harmattan (réédition), 2005. 3 Paracelse. Des forces de l'aimant: 1494-541. Van Helmont. Le traitement magnétique des plaies 1621 Maxwel. De medicina Magnetica 1679. 4 Hell. Rapport impartial: 1775. 5 Musée médecine et de la pharmacie de Lyon. 6 de Chastenet de Puysegur AMJ. Mémoires pour servir à l'histoire et à l'établissement du magnétisme animal. 1784. 7 De Faria. De la cause du sommeil lucide. L'harmattan, 1891, réédition : 2005. 8 Estaille J Mesmerismin india and its pratical applications in surgery and medicine. 1846. 9 Braid J. Neurynologie 1843. Traduction française 1843 hypnose ou traite du sommeil nerveux. 10 de Cuvillier EF. Archives du magnétisme animal. 1819. 11 Liébeault Confessions d'un médecin hypnotiseur. 1886, Nancy.

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